Aujourd’hui je vous propose une réflexion personnelle, un questionnement : La pâtisserie est-elle devenue dans les médias un moyen d’en mettre surtout plein la vue ?
Etes-vous adepte de vidéos de pâtissiers sur les réseaux sociaux ? Ou fan de certaines émissions TV dédiées à la pâtisserie ? Vu leur multiplication, elles doivent avoir un certain succès, mais l’image (du métier et du secteur) qui est ainsi véhiculée vous semble t’elle juste ?
Une overdose de sucre : c’est possible ?
J’ai sans doute ma part de responsabilité… Je baigne dans l’univers de la pâtisserie depuis de nombreuses années. L’obtention de mon CAP pâtissier a renforcé mon intérêt pour ce secteur. J’ai ensuite travaillé comme pâtissière dans des maisons parisiennes tout en continuant à faire des gâteaux chez moi… et le tout en étant abonnée à la revue Fou de Pâtisserie (et en écoutant régulièrement l’émission « On va déguster » sur France Inter). Je reconnais que ça fait beaucoup !
Mais l’avantage est que cela me permet aussi d’avoir un certain recul sur le secteur. Je l’ai appréhendé sous différentes casquettes, et force est de constater que derrière cette image dorée tout ne vend pas du rêve !
Et un peu de sucre en poudre ?
Au risque de paraître désagréable, je dois avouer que je finis par saturer de l’escalade à laquelle nous assistons quant aux desserts proposés dans les médias. On dirait qu’il en faut toujours plus. Plus d’étapes, plus d’étages. Plus de textures, de couleurs, plus d’ingrédients exotiques et introuvables : Vive la fève tonka et longue vie au kumquat…
Bref, une pâtisserie doit-elle être toujours plus complexe pour être appréciée ?
Une minorité novatrice
Certes, on ne peut que reconnaître le talent de certains chefs – comme Pierre Hermé – qui ont su innover et repenser la pâtisserie traditionnelle. Il a notamment réussi à réduire la quantité de sucre dans les desserts. Il a aussi apporté de l‘élégance et du raffinement à un moment où les gâteaux pouvaient être lourds et visuellement surchargés, à l’image des pâtisseries que l’on retrouve encore en vitrine aux USA.
Mais aujourd’hui, ce qui me dérange est une certaine tendance à la surenchère et à la surmédiatisation. Comme je vous l’ai mentionné plus haut, j’étais abonnée à la revue Fou de Pâtisserie qui sert de vitrine sur l’actualité du secteur. Je n’ai pas souhaité renouveler mon abonnement car je n’adhère pas (ou plus) à l’idée de voir des chefs présentés à la limite de la déification. C’est une image qui me semble excessive et trompeuse.
La pâtisserie à l’heure des réseaux sociaux
Je crois que ma stupéfaction a atteint son paroxysme et un point de non retour quand j’ai visualisé sur Instagram une vidéo d’Amaury Guichard – dont le talent est indéniable et hors norme – qui présentait en quelques minutes, via un reel, la création d’une pièce en chocolat. C’était une horloge à taille humaine. Evidemment que c’est incroyable, mais pourquoi faire cela ? Que faire ensuite ?
La pâtisserie de Cédric Grolet : le prix de la médiatisation
De même, Cédric Grolet, élu Meilleur Chef pâtissier du Monde en 2018 a ouvert une boulangerie dans le quartier d’Opéra, à Paris. Ce chef est aussi très présent sur les réseaux sociaux. Il fait notamment des pâtisseries en forme de fruits en trompe l’œil (d’ailleurs très esthétiques) et réalise de magnifiques pochages quasi hypnotisants. Son savoir-faire est exceptionnel.
Sa renommée est devenue internationale et il a su mettre un prix sur sa créativité – et sa célébrité. Devinez chez lui le prix d’un pain au chocolat… Réponse : 5 euros ! Et en écrivant cet article, je suis allée vérifiée par curiosité les avis des gourmands sur Trip Advisor… j’ai été très surpris ! Sur 336 avis, 91 sont dans la catégorie « horrible » ! (Et 71 jugés « médiocres ») Apparemment, comme pour les produits de luxe la stratégie serait de créer la rareté. Donc même en faisant la queue à l’ouverture – et même en étant prêt à payer 5 euros pour une viennoiserie – vous n’êtes pas sûr d’en avoir ! Vous pourrez peut être cependant vous rabattre sur une pâtisserie, à 17 euros…
L’une des dérives de cette médiatisation me semble être qu’elle suscite une forte attente des consommateurs. Ils sont prêts à mettre un prix démesuré tout en espérant que l’expérience sera exceptionnelle. Or à la lecture des nombreux avis, il semblerait que la déception ne soit pas une exception. Un pain au chocolat très instagrammable, à beau être bon, il ne vaut évidemment pas 5 euros.
L’image de la pâtisserie dans les émissions télévisées : édulcorons les réalités du secteur
Après tout, pourquoi ne faudrait-il pas apporter de la magie à ce milieu réputé impitoyable ? Cela donne peut être envie à certains téléspectateurs de s’adonner à une nouvelle passion. On ne peut que s’en féliciter. Peut-être que de cette passion naitra même une reconversion dans la pâtisserie.
Ce qui me dérange dans les émissions TV type « Le Meilleur Pâtissier » est qu’ils sont obligés au montage de supprimer des étapes évidentes de préparation mais ne le précisent pas.
Ces émissions peuvent donner l’impression que tout est facile et rapide. Le pire est quand on entend le « trois, deux, un… » et que l’on voit en parallèle les candidats finir leur gâteau. Ils semblent alors être loin d’avoir terminé, mais finalement la magie opère et tout est hyper présentable à temps.
C’est sûr que c’est plus vendeur que si on voyait un plan de travail qui rappellerait l’émission « Cauchemar en cuisine», avec un chef psychopathe en train d’hurler au lieu de Mercotte, sur des pâtissiers présentant des douceurs non terminées… et moches !
Tu l’aimes mon gâteau ?
Au moment tant attendu de la dégustation, alors que les préparations nous ont ouvert l’appétit (à nous téléspectateurs) n’êtes-vous pas fatigué par la vision de ces chefs blasés, goutant toutes sortes de desserts avec un air digne d’une « poker face ». Est-ce si difficile de dire que c’est bon et de le montrer ?
Ils mériteraient qu’on leur donne de temps à autre les plats préparés par le chef Willy dans Fort Boyard – là ils auraient des raisons de faire la grimace.
La pâtisserie vs Realité
En insistant sur ces dérives, je tenais avant tout à rappeler que la pâtisserie est surtout un savoir-faire. Une méthode que l’on acquiert en respectant des techniques et en appliquant des recettes. Et tout cela demande d’ailleurs du temps et de la persévérance.
Je trouve ainsi que l’image véhiculée de ce secteur manque de justesse. En tant que pâtissier, toutes les difficultés du métier sont omises. Tout semble simple, relativement facile et passionnant. Le tout est en plus tourné dans un cadre idyllique. Alors que c’est un métier difficile qui est par nature répétitif. Quand on commence, on nous apprend vite à acquérir une cadence de travail. Le pâtissier est aussi un ouvrier et pas seulement un artiste. L’artisan est d’ailleurs payé au lance-pierre, même lorsque le prix de la pâtisserie relève d’un produit de luxe.
Cela donne des effets pervers notamment sur un nombre non négligeable de chefs qui ont oublié qu’ils ne font « que des gâteaux ». Certes, parfois beaux et bons, mais des gâteaux… Nécessaires à notre plaisir, mais absolument pas indispensables. Disons que cette tendance ne les encourage pas à faire preuve d’humilité.
Malheureusement, j’ai pu constater sur le terrain que les équipes qui gravitent autour de certaines de ces personnalités en font les frais. C’est un milieu déjà difficile et la « célébrité » ne convient clairement pas à tout le monde.
Jeffrey Cagnes : l’exception qui confirme la règle
Une touche de positivité semble être nécessaire à ce stade ^^. J’ai l’impression qu’à chaque article j’en reviens à Jeffrey Cagnes… mais j’ai été justement marqué par sa personnalité. Son savoir-faire est incroyable et son exigence quant à la production est forte, mais c’est aussi quelqu’un qui sait sincèrement ne pas se prendre au sérieux. Il est aussi très médiatisé mais il n’a pas choisi d’en « faire tout un flan ». Le plaisir qu’il a à travailler et communicatif et c’est très appréciable.
En quête de complexité
A titre personnel, je me suis rendue compte que j’avais aussi bien trop intégré l’idée qu’un bon dessert doit présenter une forme de complexité. Je l’ai constaté en faisant un banoffee. Ce dessert est extrêmement simple et extrêmement bon. (Il est composé d’une base de spéculoos broyés sur lesquelles ont pose des rondelles de banane, le tout est recouvert d’une confiture de lait puis d’une chantilly joliment pochée).
J’ai ressenti une forme de non légitimité face à l’unanimité qu’il suscite ! Comme-ci la satisfaction qu’il procure n’était pas à la hauteur du travail fourni. Il est quelque part trop simple pour être si bon.
Je dois avouer qu’il y a encore quelques mois, plus il y avait d’étapes dans une recette, plus j’aimais ça. #mazo
Peut-être que c’est un art qui demande aussi au pâtissier un goût pour l’effort, la difficulté ou le challenge. D’ailleurs, de nombreux concours (tels que les MOF, meilleur dessert de France, ou encore le titre de Champion du monde de la pâtisserie) illustrent ce goût certain dans le milieu. La volonté de se tester, voire de se dépasser et de viser le meilleur est aussi une des facettes du métier.
Les vertus de la simplicité
Bien qu’aujourd’hui la pâtisserie soit de plus en plus tendance, et prenne des formes aussi diversifiées que créatives, il est intéressant de constater la réponse que donnent les fameux « grands chefs » quant à leur dessert d’enfance. Il s’agit souvent de gâteaux simples, aux saveurs facilement identifiables.
L’esthétisme des pâtisseries et leur médiatisation sont légitimes et appréciables mais pas lorsqu’ils sont poussés à outrance. N’oublions pas que la simplicité a du bon et peut même créer des vocations.
Une question ? Un commentaire ? Ca se passe un peu plus bas 🙂
2 Commentaires
Sylviane
1 février 2023 at 12 h 15 minExcellent article ❤️❤️
Ça fait belle lurette que je ne regarde plus les émissions de cuisine et de pâtisserie…😟 A les voir courir dans tous les sens comme s’il s’agissait d’urgence pédiatrique !!
Bravo Clémence
Clémence
1 février 2023 at 12 h 23 minMerci pour ta lecture et ton commentaire.
Oui : nous partageons cette lassitude…